Dans son article intitulé La panique morale, Ruwen Ogien affirme ceci :
« aucun argument rationnel ou théorie éthique ne constitue une créance suffisamment forte pour interdire le clonage reproductif humain ».
Ce texte est une critique argumentative à l’affirmation d’Ogien
Pour commencer, j’aimerais aborder la dimension personnelle de l’individu issu du clonage reproductif. D’abord, tenons pour acquis qu’il serait reconnu comme un être humain à part égal, auquel on accorde tous les droits et libertés universels, dont la liberté de pensée et d’expression. Cela étant pris comme assuré, je considère qu’il est immoral d’imposer à un être humain la volonté d’autrui dans son programme génétique. Chaque personne peut mener une vie à son image et jouir de sa personnalité. Or, la volonté d’une personne reproduite par clonage est profondément envahie par un agent externe à l’effet irréversible. En effet, l’être humain peut reconditionner certains comportements d’adaptations développés dans son milieu familial, mais il ne peut revenir sur un programme génétique imposé à la naissance.
Dans son texte, Ogien écarte rapidement l’argument de la personnalité: « Le cas des jumeaux suffit largement à montrer la faiblesse des arguments psychologique »[1]. Or, dans le cas de jumeaux identiques, l’autre jumeau/jumelle n’a pas un lien d’autorité ni d’incidence sur la provenance de cette similitude. La paire partage le rapport d’égalité entre frère et sœur, d’autant plus du même âge. La distinction du rapport d’autorité est importante, car un enfant doit naturellement se soumettre à l’autorité d’un parent. Toutefois, pour l’enfant issue du clonage reproductif, le parent possède une double autorité. Il est à la fois son guide parental et son portrait futur, c’est-à-dire une version génétiquement identique, projetée dans l’avenir. Un rapport d’autorité qu’Habermas décrit comme un:
« paternalisme d’un genre spécifique », car « la personne programmée […] est privée d’un avenir non obstrué qui lui soit propre »[2].
Dans un rapport familial commun, le parent influence son enfant à certaines dispositions comme les croyances, les habitudes et les aspirations. On peut résumer ces dispositions, ce qu’Ogien nomme « le projet éducatif », à l’influence du milieu familial sur le développement de la personne. Cela étant dit, une fois l’enfance passé, l’individu peut se définir lui-même et devenir autonome. Par des réflexions individuelles et la révision de ses appartenances, il peut revoir son conditionnement et s’affranchir comme un être à part entière. Toutefois, dans le cas du clonage reproductif humain, la prédisposition d’un enfant n’est pas simplement un amalgame de préférences parentales que l’on pourrait qualifier « d’influence sociale », mais bien l’intention programmée de produire un enfant à l’image de l’instigateur. Habermas nous aide à comprendre cette distinction:
« Une intervention génétique n’ouvre aucun espace communicationnel […] Cette intention a été fixée génétiquement. »[3].
Cet énoncé rapporte également un obstacle à la raison communicationnelle entre le parent et l’enfant, un champ important à l’éthique du procéduralisme. En somme, pour moi, la question qui se pose est la suivante : comment une personne peut jouir de la pleine opportunité de « s’émanciper » lorsqu’elle a été conçue comme la réplique ou l’extension d’une autre? Si la réponse à cette question n’est pas suffisamment convaincante, c’est que le clonage reproductif pose une menace considérable pour le bien de la personne.
Finalement, j’aimerais adresser la problématique du clonage reproductif pour la collectivité. Sur le plan biologique, la survie d’une espèce vivante et de son équilibre naturel reposent sur un mélange génétique constant, appelé la biodiversité. Pour répondre à l’argument biologique, Ogien affirme qu’il : « repose sur la crainte injustifiée d’une demande massive et absolument non réglementée de clonage »[4]. Par le fait même, il présume à la fois l’adoption et l’existence d’une réglementation, car le clonage reproductif ne peut être universellement accordé à tous, au risque d’une demande massive qui déréglerait l’équilibre de la biodiversité. Par conséquent, cela suppose que la Loi devrait déterminer qui aura droit au clonage reproductif ou non, et dans quelle mesure. Évidemment, il y a là une contradiction au principe de justice et d’égalité, où chacun devrait théoriquement avoir droit au clonage. En somme, ce qu’il faut retenir, c’est que le projet du clonage est tout simplement incompatible avec un intérêt généralisé.
En conclusion, les arguments rationnels sont nombreux et la raison éthique suffisamment forte pour interdire le clonage reproductif humain, et ce, pour des considérations d’ordre personnelle et globale.
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L’idée globale
[1] Ruwen Ogien, La panique morale, Paris : Grasset, 2004, p. 90.
[2] Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral? trad. Christian Bouchindhomme, Paris : Gallimard, 2002, p. 95.
[3] Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral? trad. Christian Bouchindhomme, Paris : Gallimard, 2002, p. 95.
[4] Ruwen Ogien, La panique morale, Paris : Grasset, 2004, p. 91.