Réflextion suite à la lecture du roman « les identités meurtrières » d'Amin Maalouf.
Pour débuter, je crois qu’il serait bon de partager ma définition de l’identité. Elle est une construction de l’individu pour situer celui-ci par rapport à son environnement. L’identité est dynamique. Elle prend forme avec l’influence externe; la famille, les proches et les collègues. L’identité est adaptaive, elle évolue dans un environnement en constant mouvement. L’identité est singulière, forgée par les expériences personnelles. De ces dimensions, il en émerge un constat : tous les êtres humains portent en commun l’unicité. On partage cette singularité, l’identité composite.
Autrement dit, l’identité est complexe, intemporelle et évolutive. Alors, qu’arrive-t-il lorsqu’on réduit l’identité d’un individu à l’une de ses appartenances? Pour reprendre les mots d’Amin Maalouf, il en résulte:
« une attitude partiale, sectaire, intolérante, dominatrice, quelquefois suicidaire » [1].
Les appartenances d’un individu sont nombreuses. Celui-ci s’identifie à un genre (ou même à l’absence de genre), une langue, une religion et même à une ou plusieurs idéologies (socialisme, capitalisme, environnementalisme, féminisme, modernisme…). Pour en arriver aux identités meurtrières, il y a d’abord l’idée qu’une appartenance prime majoritairement sur les autres. Une hiérarchie, où l’appartenance du moment, comme celle d’être un vax ou un anti-vax, dresse un portrait global de la personne qui l’endosse. La vie en société s’organise. On utilise machinalement des étiquettes pour simplifier et classifier l’individu.
Pourtant, historiquement, nous sommes témoins des conséquences de cette approche. Les tragédies où l’on a réduit grossièrement et discriminé des personnes en raison de leur appartenance religieuse (Juif), de la couleur de leur peau ou même de leurs traits faciaux (Tutsis/Hutus). C’est ce qu’Amin Malouf nomme avec justesse les « identités meurtrières ». Où l’on méprise, dénigre et attaque tous les individus d’une appartenance donnée.
Les identités meurtrières prennent naissance avec l’homme qui s’identifie lui-même par une appartenance essentielle, majoritaire. C’est dès lors qu’il voit l’autre, ou qu’il le résume, comme un opposé, un différent. Reprenons pour exemple l’idéologie, ou l’on réduit des phénomènes complexes à des étiquettes, à des causalités hypersimplifiées : « les riches », « les pauvres », « les femmes », « l’homme blanc » et autres. On obtient une pensée populaire, accessible par sa simplicité, mais essentiellement dogmatique. Ces étiquettes ont pour effet de semer la division, de mettre en opposition deux concepts, un type d’humain à un autre. Sur le plan social, mais également individuel, le manque de nuance mène au ressentiment et à la fermeture.
Déjà à son époque, Freud revendiquait que la personnalité n’est pas unitaire. Qu’en fait, elle consiste en de nombreux fragments de personnalité, qui ne sont pas toujours d’encore entre eux. De ce fait, que l’on peut croire une chose et son contraire. Ce concept de la personnalité fragmentée porte avec lui la richesse du genre humain. Les nuances qui nous colorent. Si l’on discrimine ces fragments, qui existent en nous, on se bute à la honte et la haine de soi.
À mon humble avis, Amin Maalouf illustre le paradoxe qui peut exister parmi nos différentes appartenances, et l’importance de chacune d’elle, plutôt que leur domination relative, dans ce qui construit l’identité. C’est notre propre regard qui nous restreint à une seule appartenance, et ainsi va pour l’autre. De ce fait, c’est en s’explorant soi-même, ce qu’il nomme un examen d’identité, que l’on constate la richesse de notre identité composite. C’est dans la prise de conscience, puis en ayant une certaine affection pour ces éléments que l’on fait la paix avec ces fragments de notre personne d’abord, puis avec l’autre. C’est-à-dire que l’on reconnaît chez l’autre sa singularité, et donc ce qui nous lie les uns des autres. Nous sommes tous semblables, dans la mesure où chacun de nous est doté d’une combinaison unique d’appartenances. Il y a dans la rencontre, dans le dialogue, un retour sur l’expérience personnelle qui nous permet de grandir. D’inclure plutôt qu’exclure.
Réduire, résumer et soustraire. Tous des verbes qui expriment une vision étroite de la nature humaine, de l’individu. Découvrir, s’émanciper et comprendre. Le monde est aussi beau à voir que dur à saisir.
[1] Maalouf, Amir, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, pp.17-39.